Un Dimanche presque funeste à Kinshasa

 
Fleuve Congo

J’ai toujours été fascinée par la RDC. J’ai eu un professeur en Lingala en pleine pandémie quand je vivais avec ma marraine américaine à Indianapolis — Paix à son âme. Avant même de trouver un prof, j’avais un niveau basique en Lingala. Je n’hésitais pas à demander la signification des mots aux Congolais que je croisais. Pour tout dire, j’étais tombée amoureuse de la République Démocratique du Congo sans connaître ce pays.
 
Juin 2022, j’ai enfin eu la chance d’aller dans ce pays dans un cadre professionnel. J’étais contente et j’avais déjà préparé mes road-trip à l’intérieur du pays et dans les pays frontaliers. Tout se passait bien. Déjà dans l’avion, je sentais ce côté chaleureux des Kinois (habitants de Kinshasa) avec leur acclamation, une fois que l’avion a atterri à l’aéroport de N’djili.
 
Bar, commune de Gombé.

Pendant le voyage, j’ai croisé R., un avocat congolais et assistant d’un ministre en fonction, qui revenait d’une conférence à Dakar. On a sympathisé dans l’avion. Et pendant tout le trajet, je l’ai sollicité pour une traduction de certains termes en Lingala. J’ai toujours jugé respectueux de connaitre les termes basiques d’une langue quand on va dans un pays. La langue relie les humains. Et faire l’effort de d’apprendre celle d’autrui est synonyme de respect et d’ouverture. Je lui ai aussi montré les listes d’endroits que j’aimerai visiter. Il était gentil et affable. Sa femme et ses trois enfants l’attendaient déjà devant l’aéroport. On s’est quittés à l’aéroport. 
 
Arrivée à Kinshasa, je fus frappée par la densité de la population. Par contre, la précarité et l’insalubrité ne m’ont pas choquée car je pense que c’est le destin de l’Afrique, du moins des anciennes colonies d’Afrique francophone y compris le Sénégal. 
 
Tout allait bien. Je m’étais faite de nouvelles connaissances. Je commençais à m’acclimater. Je commençais à aimer Kinshasa, à contempler son imposant et mythique boulevard du 30 juin.
 
Boulevard du 30 Juin à Kinshasa. 

Et soudain, ce dimanche du mois de juin arriva. 
 
Tôt le matin, mes escapades Dakaroises me manquaient comme aller manger seule dans un restaurant. J’ai ainsi décidé de partir dans l’un des restaurants de la chaine Eric Kayser à Kinshasa. Tout se passait bien. J’avais aimé le décor et l’ambiance. L’élégance des Congolais avec leur jolies tenues. Ils étaient bien endimanchés. J’ai mangé puis je suis sortie. 
 
A peine dehors, j’ai été interpellée par un groupe de Congolais, composé d’hommes uniquement, relativement jeunes, entre 25 ans et 30 ans. Comme j’ai l’habitude de voyager seule, j’ai des réflexes que j’ai développés car étant très consciente de la vulnérabilité de la femme, à fortiori sur le continent africain. Par conséquent, aussitôt interpellée, j’ai préféré me déplacer. Un des jeunes hommes me demande si je suis Rwandaise. Et sans attendre ma réponse, il a commencé à égrener tout le mal que le Rwanda a fait à la République Démocratique du Congo, d’après lui.  J’ai rétorqué, tout en gardant mon sang froid : « Non, je ne suis pas Rwandaise. Je suis Sénégalaise ». Ma réponse ne les a pas convaincus. Soudainement, les autres membres du groupe commencèrent à crier en Lingala « Eza Rwandaise ! Eza Rwandaise », en me pointant du doigt. Quoique j’ai un niveau bancal en Lingala, j’ai aussitôt compris qu’ils étaient persuadés que j’étais une Rwandaise. Ils avaient le visage déformé par la haine et la rancœur, prêts à attaquer pour se venger de l’ennemi voisin, le Rwanda. 
 
Pour me sortir de ce guêpier qui s’apprêtait à se refermer sur moi, j’ai eu la présence d’esprit de leur montrer mon passeport sénégalais, tout en insistant : « Je suis votre sœur sénégalaise de l’Afrique de l’Ouest !». Un ami me charrie toujours en me rappelant cette phrase. Avec le recul, moi-même, il m’arrive d’en sourire. Le réflexe de survie nous fait faire ou fait dire parfois des incongruités.Toujours est-il que mon passeport sénégalais que j’avais par devers moi m’a sauvée d’une mort certaine. Celui qui semblait être le chef de la bande me signifia alors que je pouvais continuer mon chemin.
 
J’ai aussitôt arrêté un taxi et demandé au chauffeur de m’éloigner de ce quartier. Durant tout le trajet, encore sous le choc, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. A ce jour, je suis incapable de dire s’il s’agissait de larmes de colère ou de peur. J’ai immédiatement envoyé un message vocal à mes parents par WhatsApp. J’ai aussi alerté une grande sœur qui vivait là-bas. J’étais traumatisée avec un regard hagard et lointain. L’image d’être un cadavre ambulant quelque part dans Kinshasa me revenait. Ce n’est pas la première fois que je frôle la mort. J’ai vécu à New York quand il était la ville la plus touchée par la pandémie de la Covid-19 en Mars 2020. J’aurai pu faire partie des fosses communes du Bronx. Entendre la sirène des ambulances de manière continue me rappelait toujours que la mort rôdait autour de moi. J’ai dû me résoudre à quitter New York comme on fuyait un pays en guerre, c’est-à-dire en catastrophe, après avoir reçu des messages kilométriques de ma défunte marraine m’y encourageant. A l’escale de Chicago, voir tous ces vols annulés, me faisait prendre conscience de la tragédie qui se déroulait. Pour dire que j’ai connu ce genre de sentiment. 
 
Mais, je n’aurai jamais imaginé qu’un jour, je serai confrontée à une situation qui allait me pousser à justifier mon identité, ma nationalité, juste pour pouvoir sauver ma peau. Mon humanité a été violée. C’est pourquoi, au moment où j’écris ces lignes, tout mon amour pour la RDC s’est effrité. Peut-être avec le temps, j’arriverai à effacer cette tâche noire. Bref. 
 
Après l’incident, je n’avais qu’une seule envie : rentrer au Sénégal. Mon pays me manquait déjà. Ce pays aux mille maux mais ô combien pacifique. Des meurtres, il y en a, mais nous ne sommes pas encore arrivés à pousser quelqu’un à justifier son identité pour rester en vie. Mon identité sénégalaise me sauva ce jour-là. Mais qu’en sera-t-il un autre jour ? 
 
J’ai préféré donc quitter Kinshasa. 

Institut National d'Art, Kinshasa.

Je suis arrivée à Kinshasa en tant que sénégalaise, j’en suis ressortie en « présumée » Rwandaise et persona non grata. Une pseudo-Rwandaise traumatisée. Car l’image des visages qui m’ont interpellée reviennent souvent, très souvent même. Ce n’est plus comme la première nuit où j’imaginais mes agresseurs me faire la chasse à l’homme, mon père au bout du fil, qui essaye de me rassurer.  
 
Ce fut donc un dimanche presque funeste à Kinshasa. Mon projet de road trip dans certaines provinces de la Rdc déjà ficelé depuis des années tomba à l’eau. Je ne me vois pas déambuler à l’intérieur de ce pays, moi qui ai un visage qui fait penser au voisin ennemi. Je n’aurai ainsi jamais le privilège d’apprécier les montagnes et beaux parcs de ce pays. 
 
Mais je suis restée en vie. C’est le plus important. 


 
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